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Gérard Cléry / Poète

Salah Al Hamdani

Ce qu’il reste de lumière suivi de Au large de Douleur

Les Éditions Sauvages, collection Phénix, 2020.

Couverture et encre de Ghassan Faidi.

ISBN : 978-2-917228-49-4

148 pages, 13€

Salah Al Hamdani

Entre Douleur et survivance

 

Par Gérard Cléry

 

    Peut-on naître à la poésie en prison ? Sans doute ne faudrait-il pas poser la question en présence des autocraties contemporaines et galopantes... C’est pourtant dans un univers hanté par les représailles et les tortures que Salah Al Hamdani a perçu / reçu le pouvoir libérateur du langage. La chose vaut d’être rappelée ! Tôt sous l’uniforme, il n’a que seize ans, le futur poète devient soldat de pitié un jour de battue aux enfants kurdes. Raflés par l’armée de Saddam Hussein, ils sont soumis à la torture, pour les conduire à dénoncer parents, famille et proches. Avec quelques compagnons d’arme, le parachutiste Salah Al Hamdani ouvre grandes les portes du cachot. Les jeunes perdreaux s’envolent. Conséquences de ce refus de l’horreur : il est arrêté, torturé, jeté en cellule. La poésie lui parvient dans les fréquents murmures d’un voisin d’infortune. Intrigué Salah apprend de l’homme que ses murmures sont des poèmes. Quand il demande au murmurant s’il peut lui aussi en écrire, il s’entend répondre tout le monde peut en écrire ! Son premier poème il le soumet sans tarder à l’homme qui le déchire aussitôt. Explication « si tes mots étaient parvenus entre les mains de nos bourreaux, tu étais bon pour la torture »! Ce qui lui fera écrire plus tard : A mon réveil dans un monde indistinct / je me répète / quelle imprudence d’être poète face au bourreau.

 

    Un livre apparemment bicéphale

Écrits au milieu des affres de la séparation, de l’amour distendu jusqu’à la rupture par un exil contraint, Ce qu’il reste de lumière et Au large de Douleur, les deux recueils réédités ici témoignent d’une double blessure : celle subie par l’auteur et celle qui frappe Alya la femme aimée. Peut-il en aller autrement des histoires profondément incarnées où les déchirures ne peuvent être que partagées ? D’où cet élan compassionnel Je te vois désenchantée près d’un miroir agrippé à des volets anciens et Paris est bordé de tes regards pétales de nuit qui m’indiquent la demeure de tes jours en pleurs. Et pourtant au détour d’un poème l’espoir tient encore (...) Nous survivrons à la bataille de l’exil. Sans que pour autant le manque puisse longtemps être contenu à distance Hier dans ma tête, il n’y avait que des chevaux orphelins qui gémissaient. Des chevaux mes enfants (...) Hier j’ai crié en silence tout l’après-midi votre absence. Émigré loin de Bagdad occupée par des bourreaux aux aguets (et qui viendront l’assaillir jusque dans Paris), le poète ne peut s’éviter l’irruption d’un reproche (...) j’aurais dû casser cette chaîne de promesses où je sanglotais si souvent seul au pied de la fontaine de ton adoration. Ni à nouveau l’élancement de la tendresse Ce matin tu n’es nulle part, alors que le goût de ton corps est encore tiède dans ma bouche (...) Au large de Douleur / je ne possède rien / et je te veux jusqu’à ton matin ... Comment mieux dire alors cet ébranlement, ces chancellements qui frôlent la déraison ? Cette déploration doublement orpheline s’écrit dans le lit de la guerre et de la tyrannie, dans le climat délétère d’un régime liberticide et des bourreaux qui le secondent le maintiennent et en vivent. Les matraques, les balles qui atteignent les fusillés laissent leurs traces dans cette écriture. La distance vécue d’avec la terre natale et la femme aimée ne peut que couper le souffle. Comme au plus fort de l’épreuve, la langue où le sang circule avec force alterne entre l’espoir et son opposé. Elle ne refuse ni la tendresse, ni la compassion, ni l’impatience, ni le cri ! Ni les hennissements vers Bagdad d’un poète centaure ! Elle peut aller jusqu’à la rage. Elle court après la sérénité, mais peut-elle faire autrement. ? Elle est celle d’une double authenticité : celle de l’homme et celle du poète Au large de ton désir /je t’accueille / et je me joins à lui (...) Au large de ma douleur /j’habite / et tu ne sais plus / si le jour nous souhaite du bien // et tu ne sais pas comment composer le temps des hommes / comment capturer cette nuée de jours // encore... Ce livre bicéphale ne l’est qu’en apparence. Il creuse le même sillon. Il témoigne de la souffrance identique qu’infligé l’oppression à un peuple et à un amour. Le lecteur ne peut que faire sien ce double deuil. Sans faire fi de l’espoir qui subsiste sous le poème !

Gérard Cléry / Points de vue dans la revue Spered Gouez, L’esprit sauvage, n°26, 2020, Carhaix-Plouguer

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