top of page

       Jean-Pierre Thibaudat

    est écrivain et journaliste

Salah Al Hamdani

Enragé volontaire

Par Jean-Pierre THIBAUDAT

Libération 13 avril 2003

 

     Poète irakien, exilé depuis trente ans, il écrit en arabe et en français.

Salah al-Hamdani poète en exil. Portrait et témoignage de l’écrivain irakien qui a fui son pays il y a près de trente ans.

 

Salah al-Hamdani a dû quitter l’Irak en 1974, menacé par les milices du parti Baas. En avril dernier, alors qu’il manifestait à Paris contre la guerre, des irakiens pro-Saddam l’ont passé à tabac.

 

Il y a longtemps que Salah al-Hamdani na pas revu Bagdad mais sa poésie y retourne tous les tours, toutes les nuits: «Il n’y a pas une nuit qui passe sans que je sente ma chair mettre cap sur Bagdad» chantent ses vers. Avec, parfois, des accents prophétiques: « J’ai vu/la joie d’antan danser/au-dessus des ailes en sommeil/pénétrant discrètement Bagdad comme un doute qui s’étire/jusqu’à perdre la raison», écrit-il dans un de ses derniers recueils (1).

 

Salah al-Hamdani a quitté l’Irak pour la France en 1974, il avait 23 ans. Cinq ans plus tard, il jouait le rôle central d’Enkidou dans Gilgameah, la grande épopée sumérienne, dans la mise en scène du génial Victor Garcia au Théâtre national de Chaillot, un spectacle phare du Festival d’automne. Homme de scène, il a servi Copi, dirigé une troupe en Espagne, fait une tournée avec El-Hakawati (le théâtre palestinien de Jérusalem), on l’a vu dans des films, des téléfilms, mais la poésie reste son gagne - vie (brancardier au CHU du Kremlin-Bicétre fut un de ses gagne-pain). Hier en arabe, aujourd’hui aussi en français. Un samedi récent où il manifestait à Paris contre la guerre, une bande d’irakiens pro-Saddam lui est tombée dessus à coups de pied et de poing (Libération du 4 avril2003). «Bagdad était mon amour/et ma malédictions», écrivait-il dans l’Arrogance des jours. La poésie est sa sauvegarde.

 

«Mon Irak.» Si sa famille compte des poètes depuis le XIVe siècle, si son ancêtre Abou Firas Al-Hamdani a été chanté par Oum Kalsoum et honoré par les lettres, la poésie ne lui a pas été donnée...

 

Dans le berceau. Un père menuisier, une mère venue du Sud, enfant il aidait son père à fabriquer des fenêtres avant que ces dernières ne deviennent une figure récurrente de sa poésie, cependant jamais contemplative. «Le poète ne doit pas être derrière la fenêtre pour regarder les événements, mais être dans l’orage, recevoir des coups», dit-il aujourd’hui.

 

«La métaphore me fait vivre, ajoute-il, sans elle je serais plus misérable. Même dans cette guerre, avec tous ces morts, ma famille qui est là-bas, je cherche l’espoir. Au début, j’étais heureux des tempêtes de sable. Bagdad n’est pas une ville ordinaire, c’est pourquoi elle s’est défendue avec cette tempête.»

 

Dans ses poèmes, Salah al-Hamdani écrit «mon Irak», comme on dit «mon amour».

«Dire "mon Irak", explique-t-il, c’est rattraper le temps perdu, c’est dire aussi que l’Irak n’a rien à voir avec ces salauds.» (Le terme revient dans sa poésie et désigne toujours les suppôts du régime de Saddam Hussein). «Il n’y a là rien de nationaliste, "mon Irak" est celui des gens modestes, un pays où, à l’âge de 8 ans, j’allais chercher le pain des pauvres.»

 

«Je découvrais le feu. »

A 17 ans, il s'est engagé dans l’armée «seule solution pour des gens de ma condition». Dans le nord de l’Irak, il voit comment on bat des bergers kurdes qui ont son âge pour leur faire dire où sont les peshmergas. «Ecœuré», il fonde un groupe avec douze camarades de son commando, «Pour la justice». On l’arrête, huit mois de prison. «Ce fut mon université. On frappait, on torturait des prisonniers politiques, des poètes, des historiens. Ils m’ont fait lire des livres. C’est là, en prison, que j’ai écrit mes premiers vers.» Un compagnon de cellule les lit et, aussitôt, les déchire : «Tu es fou, il ne faut pas écrire ce genre de choses», prévient-il. Tout s’éclaire, soudain : «Je découvrais le feu.»

 

A sa sortie de prison, sa famille le rejette, par peur, tant la terreur du régime est grande. «Mon père m’a dit de ne plus revenir, il craignait pour mes sœurs. J’étais proscrit.» Salah Al Hamdani trouve refuge à Bagdad, du côté de la rue Al-Rachid «où, si l’on jette sa chaussures en l’air, elle tombe sur la tête d’un poète». Des prostituées l’aident, il a des cheveux longs, découvre Sartre, Camus : «Le premier livre dont je suis tombé amoureux, c’est "l’Etranger".» Il survit en écrivant des lettres d’amour payées en repas. Mais les milices du parti Baas le surveillent, le menacent. Alors, il part. En train. Damas, Istanbul, Paris. En poche, l’adresse d’un opposant tunisien : «"44, rue Gay-Lussac", caractères latins, les chiffres en arabe, mais en Irak, on utilise les chiffres hindous. Je ne comprenait rien.» Des passants lui montrent quelque chose «dans le ciel», il finit par comprendre qu’il s’agit des plaques désignant les rues, alors il marche. Et miracle, finit par tomber sur la bonne rue, la bonne personne. Il apprend le français, entre au département théâtre de la faculté de Vincennes, en 1980 le secrétaire général de la Ligue des artistes irakiens en France, un groupe d’une vingtaine de personnes. La ligue sera dissoute après l’invasion du Koweït et rejoindra la Forum irakien. Les recueils se succèdent, traduits de l’arabe par d’autres, aujourd’hui par lui-même et sa compagne pour laquelle il a écrit des poèmes d’amour directement en français.

 

«Elle m’a sauvé.» «Mon pays aujourd’hui, c’est la France. Je ne partage pas toute son histoire, mais sa culture est devenue mienne. Elle ma sauvé. Donné un foyer, des enfants, de l’amour, du pain.» L’Irak est à la fois proche et lointain : «Mais à trop attendre souvent/ion finit par ne rien attendre», écrit-il. Cependant, raconte-t-il, «j’ai quatre enfants et Bagdad est toujours présent dans ma relation avec eux». Y retourner? Sans doute. Pas simple. Depuis longtemps, l’Irak «est une image fixe qui s’est figée. Elle va se réveiller. Dans quel mouvement? Quelle odeur? Je n’en sais rien.» Il retournera «mais pas en poète exilé qui revient chercher une place. Je suis un poète d’origine irakienne qui écrit en français et en arabe». Ses parents sont morts. Honnis un frère qui est en Libye, il ne sait rien des autres. «Vis-à-vis de la famille, le mieux était d'être comme mort, car le régime de Saddarn s’est trop servi de ça pour torturer ceux qui restaient.» Depuis son départ en l974, c’est exprès qu’il n’a pas donné de nouvelles. Sa poésie en donnait pour lui.

«A présent seulement,

l’exilé peut choisir de devenir le fossoyeur des âges perdus.

Alors il dira tout ce qu’il veut sur les calamités

car plus personne ne s’intéresse au chant des épopées

et aux oiseaux qui se posent après le déluge.» Salah Al Hamdani

 

Jean-Pierre THIBAUDAT

 Avril 2003 Paris

bottom of page