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Jean-Luc Maxence

La poésie de Salah Al Hamdani

citée par Jean-Luc Maxence

dans son ouvrage : Au tournant du siècle,

Editions Seghers, 2014

 

 

 

 

Au tournant du siècle, un livre et un regard critique sur la poésie française contemporaine. Ecrit par Jean-Luc Maxence

Editions Seghers 2014 - www.edition-seghers.tm.fr

 

Extrait Page 81-83

 

Salah al-Hamdani n’a pas la notoriété de Salah Stétié, Tahar Ben Jelloun ou Abdellatif Laâbi. Mais il est à mes yeux l’un des plus engagés dans le concret du réel. Avant l’âge de vingt ans, il s’engage dans l’armée irakienne et, peu de temps après, se retrouve en prison pour avoir défendu des enfants kurdes arrêtés et tabassés. Une fois libéré de la dictature de Saddam Hussein, il n’en demeure pas moins menacé d’assassinat. Contraint à l’exil, il s’installe à Paris avec son égérie, Isabelle. Il s’oppose au gouvernement du tyran, puis à l’occupation anglo-américaine de l’Irak sous la présidence de George Bush. Il écrit en langue française de beaux poèmes, courageux et volontiers revendicatifs. Il est aussi metteur en scène et comédien. Parmi les textes vigoureux et pathétiques de Salah al-Hamdani, en voici un significatif d’une saine révolte. Il est dédié « aux victimes du tyran en Syrie » et porte pour titre « Rêve fossoyeur » : (Salah Al Hamdani, Le Nouvel Athanor, 2012).

 

Rêve fossoyeur

 

       Aux victimes du tyran en Syrie

 

Un coucher de soleil froid

sur le seuil d’un jour vibrant

le ciel ensanglanté

comme un nuage épais qui s’effrite à l’infini

et la crainte de mon propre destin

 

Devenir un arbre

ma tête à la renverse

et l’horizon des hommes là-bas

 

La lumière dans mon crâne comme un souffle

accent sur mon visage

 

Je me suis enfin échappé

et le rien ballotte au bord de mon matin

morceau de lune

 

Dans ma cellule étroite

chaque nuit

l’Euphrate me rend visite

il y glisse délibérément

un écho de l’enfance

Sa voix pénètre le bruit de l’eau profonde

comme une lamentation

ainsi que l’innocence du jour orphelin

et ce frisson sublime

 

Je suis un détenu pour moi-même

mémoire dans cette cellule

 

Soudain je déplie ma voix

et une lourde obscurité

de gorge fracturée

emplie de mots coagulés

perle de ma bouche

 

Entre l’éveil et les sacrifiés de la Syrie

le silence des lâches et les saisons abasourdies

saisissent mon cœur

 

Leurs coups pleuvent sur mon visage

je les vois en rêve

Ils laissent des traces de sang le long de mon matin

et des chevaux coupés au jarret

peints sur la face du jour

 

Je suis un accusé

ligoté dans l’arène de ce monde

face à des questions sans lendemain

 

Et voici mon exil

Il reçoit votre révolte

Et le ciel

un témoin

suspendu au-dessus de ma tête

creuse loin dans le temps

 

Je crains la panique de l’âge

ainsi que l’humiliation de la rivière

le mystère

et l’ailleurs qui meurt au pied du mur

J’étais dans le sommeil. Je voyais les veines de vos morts toucher mon visage, ma poitrine, mon dos, mes jambes et mes bras. Alors, calmement, j’ai compté ces vaisseaux qui pénètrent la peau et la pensée, et vont s’écraser finalement contre un rêve

 

Rêve fossoyeur

odeur d’herbe fraîche autour de mes sueurs froides

épine d’un souvenir informe

dans une obscurité polie

 

Ne faut-il pas se réveiller en sursaut

pour ôter l’épée du corps du sacrifiés 

 

                   Salah Al Hamdani, Le Nouvel Athanor, 2012

 

 

À dire vrai, toute sa vie durant, Salah al-Hamdani aura « le cœur à Bagdad » et, pour reprendre l’une de ses images, il plantera « les instants délaissés de l’exil en dune de pierre ». Il sait entremêler les souvenirs cruels et les mouvements de la douleur et de la joie. En ce vingt-et-unième siècle où tant de victimes suppliciées gisent au bord des routes, le poète restera comme un témoin fier, s’insurgeant contre la barbarie des hommes dans le livre de sable du temps.

 

Bien entendu, ce chapitre pourrait passer en revue les poètes importants du monde islamo-arabe qui poétisent en langue française et les louanger sans retenue. On pourrait ainsi évoquer Adonis, à qui ses admirateurs veulent depuis longtemps donner le prix Nobel. Entre autres. Nous préférons renvoyer le lecteur à un ouvrage du même Adonis, Introduction à la poétique arabe (éditions Sindbad, 1985), s’il souhaite se faire une idée assez juste de la situation présente de la poésie en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

 

Jean-Luc Maxence,

Paris, 2014

 

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