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PASSAGES ET ANCRAGES

EN FRANCE

Dictionnaire des écrivains migrants

de langue française (1981-2011)

Sous la direction d’Ursula MATHIS-MOSER

et Birgit MERTZ-BAUMGARTNER

En collaboration avec Charles BONN, Jacques CHEVRIER,

Dominique COMBE, Paul DIRKX, Susanne GEHRMANN,

Pierre HALEN et Julia PRÖLL

PARIS

HONORÉ CHAMPION ÉDITEUR 2012

www.honorechampion.com

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AL HAMDANI, Salah

1951 (Bagdad, Irak)

 

Poète, écrivain, acteur et dramaturge irakien. Subit la torture et la prison à cause de son insurrection contre la dictature baassiste de S. Hussein. S’exile en France en 1974, y vit depuis ; poursuit activement sa lutte contre S. Hussein et ses guerres, mais aussi contre l’occupation anglo-américaine de l’Irak. À son arrivée en France, apprend le français, entre au département de théâtre à l’Université de Vincennes ; devient secrétaire général de la Ligue des artistes irakiens en France (1980). Acteur et metteur en scène. A participé à plusieurs pièces de théâtre en France et en Europe (Gilgamesh, 1979) et a joué dans des films français et étrangers (Baghdad ON/OFF de S. Salman, 2003, et Bagdad-Paris, d’E. Lagrange, 2008). A commencé à écrire en prison politique en Irak vers l’âge de vingt ans. Publie en arabe et en français.

 

Trente ans après sa lutte acharnée contre S. Hussein et ses conséquences (torture et prison), S. A.H. retourne à Bagdad. Mais la chute du dictateur ne met pas fin à l’exil de l’auteur. Il refuse tout compromis avec ses anciens tortionnaires et s’oppose désormais à l’intervention militaire américano-anglaises.

 

C’est par la poésie qu’il poursuit sa quête solitaire de liberté. Les mots de S. A.H., criés ou ‘murmurés’ dans ses nouvelles, ciselés dans ses poèmes, transportent le lecteur sur les rives de l’Euphrate, nommé selon le cas, fleuve de la Vie ou fleuve de la Discorde. D’appartenance double, déchiré entre Paris et Bagdad, le poète souffre. Il est comme l’amant tiraillé entre deux mondes et deux passions, emporté par le combat et un immense espoir : celui de la liberté recouvrée. Dans son recueil Bagdad mon amour – rédigé à Paris et « dédié à ceux d’ici et de là-bas et à ceux qui m’ont quitté » (7) –, le poète exprime son mal de vivre loin des siens : « Madinat Al-Salam, Bagdad mon amour […]. Ma nuit est toujours la même, moi, le silence, et cette idée de posséder le jour » (13). La poésie  de S. A.H. est « obscurité » (18), le poète est « seul chaque soir » (20), sans langue et sans maison, ce qui le fait crier au plus haut son désespoir : « Vois-tu/je ne possède pas de langue/pour nommer les victimes » (20). Tous les écrits de S. A.H. sont des textes de la blessure exprimant la douleur et la solitude profonde de l’auteur. « [J]e suis aujourd’hui un puits qui conserve les cris de la détresse et le malheur des êtres trahis », dit le narrateur de la nouvelle « Une vie entre parenthèses » (Le cimetière des oiseaux, 69) dans une écriture hallucinante, criarde et criante de souffrance. Loin de sa ville natale, l’auteur vit mal son exil, ressenti comme « cicatrice » (« À l’étranger/ hanté jusqu’aux cendres/par la cicatrice de l’exil », Bagdad mon amour, 55). Dans cette vie en tombeau, vie en lambeaux, loin de son pays, le narrateur est doublé par l’auteur et le récit par la vraie vie. Le narrateur, l’alter ego de l’auteur, prend la plume et écrit le récit de sa vie. C’est peut-être cela le retour au pays. Écrire pour se souvenir, écrire pour se guérir, écrire pour trouver la lumière du jour, la lumière de l’enfance : « […] près de la porte entrouverte sur le récit, sur les cris des hommes, sur l’odeur de l’enfance, un coup de fouet me lacère la gorge. […] Je ne eux pas fuir. Seulement rebrousser les jours et me souvenir avec l’âme d’un enfant » (La  traversée, 106). Bagdad est incontestablement le grand amour du poète – Bagdad dans la tempête, Bagdad qu’il n’a pas revu depuis 35 ans, Bagdad qu’il a chanté sa vie durant, en français et en arabe, Bagdad sa raison d’être. Bagdad dont l’auteur se souvient avec des yeux d’enfant, dans le bonheur de sa famille, avant qu’elle ait été condamnée à mort par le dictateur. L’auteur ne peut pas dissimuler que d’ici, de son exil, Bagdad est devenue un cimetière de cadavres, un champ de morts, des morts et des victimes à n’en pas finir. Une ville-cimetière aux « papillon[s] de bois » (Le cimetière des oiseaux, 13), « englout[ie] par des rats affamés » (20), une ville où les oiseaux sont « sans ailes » (48), assommés et privés de liberté. De ses longues années douloureuses en France, en deuil de son pays, le poète crie son rêve de pouvoir un jour le revisiter : « Alors/ depuis l’exil/je suis seul chaque soir et m’endors/avec le rêve de courir demain sur l’Euphrate » (Bagdad mon amour, 20). Le rêve s’est exaucé après la chute du dictateur et le poète s’est réconcilié avec son pays et avec lui-même. Une étape importante dans la quête de son existence évaporée et la guérison de son âme meurtrie. Son pays d'aujourd’hui, c’est la France, tient à répéter l’auteur. Il assume définitivement son exil et affirme qu’il n’a jamais été enraciné dans Bagdad, la ville qui l’a vu naître. Poète irakien exilé, poète de deux rives « au large de douleur » (titre d’un de ses recueils), installé dans la culture française, S. A.H. se déclare aujourd’hui un auteur d’origine irakienne qui écrit en français et en arabe.

 

Efstratia OKTAPODA

 

 

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