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Note de lecture de Brigitte Giraud 

sur Le veilleur de Salah Al Hamdani

Editions du Cygne, 2019

mardi 17 septembre 2019

par Brigitte Giraud

 

 

"Le veilleur" de Salah Al Hamdani  publié aux éditions du Cygne conduit le poème, ou bien est-ce l'inverse. Et la voix de Salah Al Hamdani n'en finit pas de murmurer l'exil, ce déchirement inouï qui hante chacun de ses recueils. De Paris à Bagdad, la mémoire creuse toujours d'autres alvéoles de temps et sur chaque berge de L'Euphrate, une mère attend.

Mais qui hante qui, de la douleur ou de l'identité, dans la solitude invisible de l'exilé comme une vieillesse mystérieuse ?

"Qu'est-ce que l'exil ? Qu'est-ce que l'exil ?" Salah Al Hamdani pose mille fois cette question dont les mots, si pauvres et obsédants, résonnant dans sa tête depuis presque aussi longtemps qu'il se souvient, sans  réponse véritable, presque dénués de leur sens à force d'être ressassés, sont eux aussi et à jamais errants. Par-dessus les plis du temps, ils ont en eux l'eau et le vent, le bruit et les silences, les paysages et les corps. Pour ne pas oublier.

Alors l'exil qui sauve et assiège pourrait être un lieu, celui du poème que Salah Al Hamdani arrache à l'encre des jours ordinaires sans mémoire.

Comment dire l'exil dans le temps qui s'éloigne et dont le questionnement rejaillit sans cesse de lui- même, une douleur continûment présente et sourde ?

Car si les années tissaient l'oubli, qui reconstruirait les matins disloqués dans l'abîme  et qui donc se souviendrait de toi, et de toi, de toi encore, de vous tous, les exilés de peu, parce que les vivants sont morts et que les morts sont des martyrs, les pauvres ad æternam des terres assassinées et des vies sabotées ?

Salah Al Hamdani sait bien que toutes les impasses et tous les risques relèvent d'une conscience qui vit et s'affirme, oui bien sûr, bien sûr. Mais que faire de ces yeux qui ont vu ?

Je suis là où mes yeux se souviennent, pourrait dire le Veilleur. Et par-dessus les variations incertaines et multiples de l'exil dans le proche, pour que revienne l’averse pour me souvenir de la beauté, Salah Al Hamdani revient toujours à l'image de la lune et du visage aimé, très nets dans le lointain, parcourant tout le recueil en alternance, comme un chant triste résonant au travers de l'espace et tenant debout, malgré toutes les peines et les barbaries, l'humanité du monde.

 

Comme la lune est loin derrière le verger !

Comme ton visage est loin sous les bombardements !

 

Comme la lune est loin derrière le verger !

Comme ton visage est loin dans la guerre !

 

Avec Le Veilleur, les années nouent les perceptions par une nécessité des images témoignant de la vie déchirée, et de ce qui a eu lieu dans cette déchirure. Le mot "exil" déborde de lui-même, et ne dira jamais rien de la réalité de l'exil et de celui qui va au long des jours, disait Georges Perec "une crypte dans l'âme".

Ici, il y a du soleil ce matin. Il fait encore chaud pour la saison. Le jour a des promesses qu'on essaiera de conduire quelque part, on ne sait pas où. Peut-être croiserons-nous sur le trottoir un être plus seul que tout, espérant et désespéré, dans la cascade de ses errances.  Et nous, nous ne saurons  jamais rien de la lumière noire et de ce froid terrible tout au fond du ciel.  Nous serons passés.

Qu'est-ce que l'exil, Salah ?

 

L'écriture est un rempart à l'ignorance, aux tyrannies, aux blessures, et à l'oubli. Avec "Le veilleur", Salah Al Hamdani nous donne à lire un de ses plus beaux recueils.

 

"Le veilleur" Salah Al Hamdani, éditions du Cygne, avec une préface de Jacques Fournier.


EXTRAITS

 

......

Comme la lune est loin derrière le verger !

Comme ton visage est loin dans la guerre ! 

 

Écrire la lumière, un défi pour soi

loin des cités interdites

à l'ombre des ailes tourmentées

d'un oiseau qui ne chante plus

 

Pleuvoir d'un mot

nuage après nuage

à contre-courant

jusqu'à perdre haleine

dans le sentier d'un rêve sans mesure

 

......

Dehors, la nuit se tait

devant la détresse de la vie

qui s'érige et aboie

 

Tout vacille dans ma chambre

Mon père dans sa tombe

le rasoir pour le prépuce

le malentendu des saisons 

et ton âme rouillée

ainsi que la lourdeur du temps

 

......

Sous le bleu fissuré d'un horizon à l'autre

on m'interdit d'acheminer la mémoire vers l'oubli

Alors tes nuits me propulsent

jusqu'à la façade secrète des mots

 

Comme la lune est loin derrière le verger !

Comme ton visage est loin sous les bombardements !

 

......

Je m'accroche à mon exil

comme un lézard escaladant le soir

loin des poètes de salons

 

J'habite la vérité

Celle des exilés liée à mon visage

à la crédulité de la chute du dernier dictateur

et dans ma chambre

toutes les nuits

résolument et dans l'urgence

je range la tombe de ma mère à la hâte

jusqu'à ce que l'image de mon enfance s'efface

dans les secrets de son linceul

 

......

L'exil

un poème filant au-dessus de l'océan ?

Des saisons transparentes qui changent de peau ?

Des jours qui ont survécu à leurs blessures ?

Un chien abandonné dans un tableau

ou un gibier qui cherche le salut ?

 

......

L'espoir me donne froid

comme aux pauvres, l'héritage

et les noms des esclaves

planent

au-dessus d'une ville abritant les étoiles aveugles

de la clôture des jours

 

Comme la lune est loin derrière le verger !

Comme ton visage est loin dans la guerre ! 

Salah Al Hamdani, poète, écrivain et homme de théâtre français d’origine irakienne, est né en 1951 à Bagdad. Il commence à écrire des poèmes en prison politique en Irak vers l’âge de 20 ans. Ancien opposant à la dictature de Saddam Hussein et nourri de l’œuvre d’Albert Camus dans les cafés de Bagdad, il choisit la France comme terre d’asile en 1975. Sans cesser de s’engager contre la dictature, les guerres et le terrorisme. C’est en France qu’il devient auteur de plus d’une cinquantaine d’ouvrages (poésies, nouvelles et récits) dont plusieurs sont traduits de l’arabe avec Isabelle Lagny. Acteur et metteur en scène, il a joué dans plusieurs films au cinéma ainsi qu’au théâtre, notamment le rôle d’Enkidou dans Gilgamesh, Théâtre National de Chaillot, mise en scène de Victor Garcia en 1979.

Sa poésie a été traduite et publiée dans plusieurs langues en particulier en anglais, en italien, en allemand et bientôt en espagnol.

J'ai plusieurs chroniqué les recueils de Salah Al Hamdani. Je vous laisse lire et regarder les vidéos  en suivant les liens :

 

http://paradisbancal.blogspot.com/2018/03/bagdad-bagdad-salah-al-hamdani-a.html

https://www.dailymotion.com/video/xd65qt

https://www.dailymotion.com/video/xyrx5v

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