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Note de lecture de France Burghelle Rey

Sur Le veilleur de Salah Al Hamdani

Editions du Cygne, 2019

 

Jeudi 26 septembre 2019

 

 

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France Burghelle Rey / Poète

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Salah Al Hamdani commence à écrire des poèmes en prison politique en Irak vers l’âge de 20 ans. Ancien opposant à Saddam Hussein et nourri de l’œuvre d’Albert Camus dans les cafés de Bagdad, il choisit la France comme terre d’asile en 1975. Il ne reverra sa famille et sa ville qu’après la chute du dictateur en 2004. Dans ses actes et ses écrits, il s’engagera contre la dictature, les guerres et le terrorisme.

 

Dès les premiers poèmes de son dernier recueil des oppositions traduisent le malaise de l’exilé. La présence en effet de l’obscurité au milieu du jour et celle du sang dans la lumière de l’aube sont notées en même temps que le terrible thème de la distance exprimé dès les deux vers liminaires qui serviront de refrain au recueil :

 

Comme la lune est loin derrière le verger !

Comme ton visage set loin sous les bombardements !

 

Visage sans aucun doute de la mère que le poète n’a pu revoir qu’au bout de trente longues années.

 

Tous ces éléments contribuent à définir la « blessure » dont il parle d’emblée. Ainsi dès la troisième page l’écriture apparaît-elle comme un « défi ». Comment en effet résoudre la question obsédante plusieurs fois posée : « Qu’est-ce que l’exil » ? Comment ne plus être «  esclave » de cette situation et pouvoir sortir de l’ombre de ce no man’s land  sans équilibre où « Tout vacille » ?

 

La nature, comme les mots, se révolte et si les paroles « tissent de l’espoir », leur folie perturbe la voix. Alors se pose violemment le rôle de la mémoire déjà évoquée il y a près de dix ans dans Le balayeur du désert quand le poète écrivait « la mémoire qui redoute  l’oubli / est la même qui se souvient ». Des interrogations tourmentées amènent le narrateur, après avoir été jusqu’à définir l’exil comme un « meurtre », à former des vœux ultimes :

 

Seigneur de la tempête

au cœur de mon exil

ramène-moi l’odeur de l’Euphrate

mon vieux quartier de Bagdad

les jeux de billes, la veuve lapidée

et la cendre des larmes

qui tapisse ma gorge fragmentée

 

Car si l’exil est une suite de questions qui fournit au texte son lyrisme, il reste la certitude pour l’homme de vouloir « être le soldat d’autrefois » qui n’a pas voulu tirer sur des enfants kurdes. Et cet éloignement se doit d’être une pluie même de « mots rares » combattant à la fois la solitude et la perte de l’identité ; cette lutte « irrigue l’écriture » et pourrait permettre enfin à la lune de « s’asseoir / dans le flot de la rivière ».

 

Puis au cœur de l’opus ce vers poignant donne tout leur sens aux mots : « Pays où le poème reste un projet de complot ».

 

Le poète est donc un veilleur fidèle et obstiné, il n’a plus qu’à poursuivre sa plainte et à s’adresser à l’exil cette fois personnifié tout en affirmant qu’il s’agit d’ « une absurdité qui ne terrasse pas les hommes justes ». En effet, si l’exilé a une maison, c’est bien celle de la vérité : « J’habite la vérité » et il se doit de la transmettre à l’enfant même sous forme de «  bégaiements ».

 

Ce devoir n’a pas fait oublier à Salah Al Hamdani le charme de la poésie. La sienne se fait fluide, en vers de différentes longueurs, parfois brefs comme un cri, et souvent longs comme un chant. C’est encore un souvenir que celui de la musique des mots. Chaque poème a sa structure propre, preuve certaine du travail qu’exige sa mission.

 

La fin du recueil arrive et on peut lire, meurtri soi-même, deux vers désespérés: « Les exilés / sont les plus grands perdants de l’humanité ». Sous quelle forme alors pourra apparaître l’espoir de paix qui, souvent, est celui des poètes ? Sans doute sous celle de la liberté de penser et celle de pouvoir l’exprimer comme le dit, dans sa pureté, l’un des derniers poèmes :

 

Pour atteindre le cœur de la fleur nocturne

au bord de l’encre durcie

l’exil prolonge la pensée

Il danse sous le manteau de l’ombre...

puis les mots en vrac l’après-midi

persistent  en moi

comme un mirage long et profond

 

C’est la tourterelle qui, pour finir, symbolise cette paix possible pour le poète habité par ses mots car « Elle séduit l’ennui / écrit sur la page vierge ».

 

 

            Note de lecture de France Burghelle Rey ©

 

                       Jeudi 26 septembre 2019

 

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