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Jacqueline Saint-Jean / poète
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Salah Al Hamdani

Ce qu’il reste de lumière suivi de Au large de Douleur

Les Éditions Sauvages, collection Phénix, 2020.

Couverture et encre de Ghassan Faidi.

ISBN : 978-2-917228-49-4

148 pages, 13€

 

Entre blessure et lumière

                                                                Par Jacqueline Saint-Jean

 

     Le poème naît de la tension entre « forces contraires », dit Octavio Paz. « Ce qu’il reste de lumière » saisit par ce combat intérieur entre la blessure encore ouverte de l’exil et la soif de lumière et de vie. L’exil habite le poète, mêlant l’absence, la perte, la nostalgie et la révolte. En « cette faille que je porte en moi », s’éveillent l’Euphrate, le palmier emblématique, l’enfance, la mère et les morts... Vivre risque de se perdre « dans la folie du silence », sans lieu d’appartenance, l’avenir « en cage », quand le temps se fane et se défait, ne plus se sentir exister : « Ton adieu, mon Irak, a fait de moi un songe ». Mais, dès l’ouverture, vibre le souffle du vent, la « soif de lumière », mot repris en écho tel un appel. Le poète lutte pour retrouver l’intensité des jours. Des images, « cavalier je serai / chevauchant les ombres / volant dans la trouée du jour » disent le désir d’amplitude, d’ « envergure », le déploiement de l’être. Désir d’« enterrer les saisons stériles », « greffer une autre lumière dans son existence ». Le rêve « invente une lueur », l’amour ouvre l’horizon : « Viens comme une averse d’oiseaux en rêve ».

 

       « Je veux le cri / au large de ma douleur », vers du livre précédent, devient ce beau titre suggérant « la marée d’absences » et l’éloignement. Journal-poème écrit au seuil du millénaire, habité de deux présences vives. Bagdad, son « haleine », ses « battements », ses lieux et ses visages, la mère, le dictateur, les martyrs. Bagdad en figure féminine « sur moi, en moi », qui « me couve / et se couche avec moi ». L’autre est « la bien aimée » : « je bois ton corps », « j’emplis mes mains de ton visage ». Le mal de vivre peut-il écouter « ce corps comme une voile gonflée par le vent » ? Pour « prendre l’élan », « construire un autre horizon pour nous deux ». L’écriture est ce fil tendu entre le je et le tu, entre l’une et l’autre, afin qu’elles se rejoignent, dans l’empathie universelle, là où « sur nos chemins aux espoirs barbelés / des exilés / chantent la désolation ».

       Rythmée par le ressac lancinant des questions, des invocations, des échos, portée par le souffle du désert et le chant des origines, la parole poétique de Salah Al Hamdani nous traverse aussi de l’énergie puissante des images. Métaphores enracinées dans l’expérience profonde. Celle de la guerre, métal et feu, sabre de l’absence. Celles du rapport intense à la terre, aux éléments, infuse le corps et les mots d’argile rouge et de nuit, de sève et de vent, de fleuve et de sable, relie les règnes, de « la nouvelle lune trempée dans les yeux de la mère » au « hennissement vers Bagdad », et le poète tour à tour « homme de feu », « homme de neige », « homme de cendres ».

      Écrire est ici creuser son chemin, témoigner du poids de l’histoire sur les exilés, revivre le perdu, sublimer la béance, « percer le destin ». Ouvrir un espace d’errance et de liberté, retrouver le souffle vital. Se dresser contre l’oppression meurtrière, les fanatismes. « Nommer ce qui me reste d’humain ». Ce qui me reste de lumière.

 

      Rester « gardien de la lumière ». « Créer, c’est donner une forme à son destin », dit Camus que le poète lisait dans un café de Bagdad. Ce qu’il fait magnifiquement.

 

                                                                             

Jacqueline Saint-JeanPoints de vue dans la revue Spered Gouez,

L’esprit sauvage, n°26, 2020, Carhaix-Plouguer

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