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Julien Delmaire, poète

Poésie et résistance

Notes de lecture par Julien Delmaire

La revue en ligne des littératures du sud

(Cultures Sud), 2012

                                                                           

                                                                           par Julien Delmaire

 

Les éditions Bruno Doucey depuis leurs créations, il y a deux ans à peine, ont pour vocation de promouvoir une poésie à la fois lyrique et engagée. Cette exigence est brillamment illustrée par le dernier recueil de Salah Al Hamdani, poète né en Irak et vivant aujourd’hui en France.

 

Balayeur du désert est composé de deux parties, distinctes, mais ce répondant dans leurs thématiques. La première partie intitulée : « Illusion de l’absence » est traduite de l’arabe par l’auteur et Isabelle Lagny, la seconde : « Un exil aussi grand qu’un mirage » a été écrite en français. Une étonnante cohérence se dégage de l’ensemble, nous pourrions en déduire une évolution de l’auteur, une transition aboutissant à l’abandon de la langue maternelle au profit de la langue d’accueil, en réalité Salah Al Hamdani écrit toujours dans sa propre langue, la langue du désert, la langue de l’exil, une langue qui se crée dans les remous d’une histoire intime et politique.

 

« Comme une lance je m’enfonce dans le sable, je creuse un salut pour mon rêve, un espace pour ma vague ».

 

Creuser un espace pour le langage, faire naître une terre d’accueil au milieu des quadrillages, des barbelés. La dimension spatiale de la poésie est clairement exprimée dans plusieurs passages : « Je salue l’horizon qui croise l’infini tristesse, tandis que l’angoisse stagne à la porte du jour et que le ciel s’ouvre sur une ville invisible »

 

Le poète se voit confronté aux limites de l’écriture, à la difficulté de se dire, sans se trahir, quelque soit la langue véhiculaire. Le poète sait qu’il est à l’écart, ni mort ni vivant, ni courageux, ni lâche, il est en marge et cette liminalité extrême engendre une tension qui nourrit le poème.

 

« Des lumières se croisent en moi dès l’origine

 

Où la frontière se trouve-elle et pourquoi la rive où repose la solitude du vent m’accable-t-elle de hurlements ? »

 

L’exil en poésie est un motif récurent, exil géographique, quand le corps et l’esprit sont coupés de leurs attaches, du lieu familier, primordial, mais aussi exil qu’on pourrait qualifier de littéraire qui incite à écrire dans une autre langue, à faire l’expérience douloureuse parfois de la transcription, de la traduction de sa pensée dans un idiome étranger. Être poète c’est posséder une langue, qu’on s’autorise à modifier, à inventer, à subvertir et à célébrer, cela ne signifie en rien que cette langue soit une forteresse, une chasse gardée ; la langue poétique loin de se satisfaire d’une position obsidionale, tend toujours vers une certaine créolisation. Mais la créolisation est un processus de mise en relation consentie, or la langue née de l’exil est différente, car l’exil est contraint, imposition politique et culturelle faite au corps et à l’imaginaire.

 

On ne quitte pas sans stigmates le lieu d’où a jailli le feu premier, le lieu qui nous a constitué, nous a élevé, ce pays où nous avons bu le lait de la transmission, quitter ce lieu est un arrachement mais de cette amputation symbolique peut grandir une parole nouvelle, qui garde trace des errances et qui demeure empreinte de la marque des ancêtres. La figure de l’ancêtre que Kateb Yacine — un autre grand exilé — n’a cessé d’interroger dans son œuvre, traverse en filigrane les poèmes de Salah Al Hamdani. L’ancêtre chez Al-Hamdani n’est pas un motif folklorique, il est le dépositaire du passé, du vécu, il est cette parcelle de terre symbolique où s’épanchent les tribus, tribus de soleils, tribus d’étoiles, tribus de sable, tribus de vents, tribus de roses.

 

« Alors que la nostalgie pourrissait dans mes écrits d’exilé

rouillé

des tribus au ciel de tôle

apercevant la lumière

se métamorphosèrent »

 

Les images poétiques de Salah Al Hamdani sont d’une grande puissance d’évocation, jamais la métaphore n’est gratuite, elle devient un outil pour esquisser l’indicible, le désastre de la guerre et de l’oppression. Le vocabulaire de la catastrophe se déploie au fil des pages : larmes, bombes, tombeaux, assassins, colère, néant, séparation, mort, surveillance, soldats, chars, cendre, fléaux ; les mots s’agencent et forment une litanie funèbre, un oratorio pour les morts pris dans le filet de la violence. Jamais complaisant avec l’horreur, le poète trace une ligne de fuite au milieu des ruines et conquiert, de haute lutte, le possible d’une résilience par l’écriture, envers et contre l’ombre, même si souvent reviennent le hanter, les fantômes du passé.

« Alors qu’à chaque instant de ma chute, je m’oblige à sublimer l’appel du gouffre, je me heurte à cette épaisseur orageuse de l’esprit qui m’observe encore de la distance d’un mirage »

 

Salah Al Hamdani pose la question du pouvoir de la poésie, de son potentiel de résistance à la marche folle du monde. « Le balayeur du désert » se termine par un appel impérieux à l’insoumission des mots, et l’auteur de citer Lorca, le poète espagnol qui face à la barbarie fasciste, osa, au prix de sa vie, opposer les fleurs de la jeunesse et de la beauté. En lisant, Salah Al Hamdani, l’on pense en effet à Lorca, à ce chef d’œuvre méconnu, ce chant de rouille et de sang qu’est « Le poète à New York », même souveraineté de l’image, même noblesse de ton.

 

Le balayeur du désert est la preuve que la poésie n’a pas rendu les armes.

 

« Je vais compter les instants

comme des perles de silence

en chute dans la source du secret

et personne ne pourra mettre au pas le mot»

 

                                                     Julien Delmaire, 2013

 

 

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