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Gérard Cléry, poète

©photo Yvon Kervinio

Revue_Concerto_pour_marées_et_silence_n

Salah Al Hamdani

Les morsures de l'exil

 

par Gérard Cléry, 2020

Prends la parole

comme tu respires

et enjambe ton existence

Salah Al Hamdani (in La sève et les mots, Editions Voix d'encre, 2018)

 

Sans la mémoire en éveil des témoins, tous les meurtres, leurs récidives, demeurent possibles. Les assassins savent se cacher dans les recoins de l'oubli et dans les faux-plafonds de l'Histoire. Fossoyeurs au sommeil de plomb, ils pensent les fosses communes de demain.

L'écriture de Salah Al Hamdani est d'un déraciné posté en sentinelle (et s'il est un arbre il est un palmier apatride, racines à vif) qui récuse fléchissement et fatigue. Sans que de sa poésie soient exclues larmes et tristesse qui serrent trop souvent de très près l'éloignement contraint comme le deuil.

L'exil est sa fêlure, sa morsure ouverte. Rivage et palmeraies perdus.... Les exilés sont les plus grands perdants de l'Humanité[1].... Je m'accroche à mon exil/comme un lézard escaladant le soir/loin des poètes frivoles des salons[2]. Autres morsures, sa mère comme son père seront morts au loin de lui... et dans ma chambre/toutes les nuits/résolument et dans l'urgence/je range la tombe de ma mère à la hâte[3] Ou encore ces ecchymoses d'une absence involontaire La maison avait changé d'adresse/ma photo avait changé de place/la table avait été pliée derrière la porte/la chaise de mon père aussi/seul le vieux tapis fleurissait le sol[4]

Natif de Bagdad, sous l'uniforme dès l'âge de 16 ans, le poète qui s'ignore encore devient soldat de pitié, de compassion, un jour de chasse aux enfants kurdes. Capturés par les troupes de Saddam  Hussein, ils sont les gibiers du régime, destinés à la torture ! Pour, que sous la douleur, ils livrent à leurs bourreaux, parents et famille ! Avec quelques compagnons d'arme le soldat Salah Al Hamdani ouvre les portes du cachot.... Les jeunes perdreaux s'envolent. Réfractaire à cette barbarie, il est arrêté, jeté en prison, torturé... Intrigue des voix/course d'enfants kurdes effrayés/qui s'écorchent aux barbelés des jours[5]

C'est dans un univers cadenassé que la poésie viendra à ses oreilles. Elle lui parvient dans les murmures répétés d'un voisin de cellule. Intrigué il s'approchera de l'homme qui lui confiera que ses murmures sont des paroles de poèmes. Salah demande alors si, lui et ici, peut aussi écrire de la poésie. « Tout le monde peut en écrire» dit l'autre. Son premier poème écrit derrière les barreaux, il le confie au murmurant qui, après lecture, le déchire devant l'auteur en herbe ébahi ! Explication « si tes mots étaient tombés entre leurs mains, tu étais à nouveau torturé » ! Sage avertissement dicté autant par l'expérience que par la prudence, qui lui fera écrire plus tard : A mon réveil dans un matin indistinct/je me répète/quelle imprudence d'être poète face au bourreau/Ce temps mon amour donne raison aux masques[6].

 

L'enfance mille fois nommée, tout un homme, toute une vie, la sienne mais sans exclusive, avec leurs abords, sont sur la langue de Salah Al Hamdani. Qu'il s'agisse de l'arabe maternel ou du français de l'exil. Qu'ils appartiennent à un monde de clémence ou à son contraire, celui de la démence.

Clémence de l'amour... ton amour est un bonheur/que je dérobe au temps de l'exil[7]... je me réveille en liberté à l'intérieur de toi[8] clémence aussi la fraternité ne contemple jamais une tempête/qui engloutit les hommes/soit dans la tornade[9]  Clémence la tendresse avouée pour l'enfance Rebâtir les jours/à genoux/fasciné par l'existence/par un cri d'enfant/égaré dans la guerre.[10] Nostalgie incisive Ressentir l'instant/comme une rivière de voix/et de rivages perdus[11]

Inclémence de la guerre... Comme la lune est loin derrière le verger/comme ton visage est loin sous les bombardements[12] leitmotiv qui court tout un recueil...Cruauté de la misère... On se balance dans ma gorge/comme une chemise épinglée par les manches/Oui je déteste le cri du soleil dans l'assiette vide/ainsi que l'ombre qui veille sur l'arbre mort[13] Jusqu'au soulèvement appelé avec force...Je crie aux révoltés/Ne négligez rien même au nom de l'espoir/Car les tyrans arabes/Ne connaissent pas la compassion[14] Et que dire du silence des lâches ou de leur contribution soumise, résignée ?

On imaginera quels échos connaissent et connaîtront les paroles de ce poète bagdadien, quand on saura que les soutiens du dictateur irakien, c'est un signe, n'hésitèrent pas, dans Paris, en pleine rue et en plein jour, à l'agresser avec Isabelle Lagny, sa compagne, poète elle aussi.

Mais c'est trop peu dire de la générosité et de l'abondance d'une écriture effervescente, fréquemment portée à incandescence par un souffle authentique et fort ! De la marche exposée d'un Orphée contemporain qui place l'homme et son désir d'humanité au cœur de la vie. Qui, en dépit d'une foule d'avatars, invoque le rêve réparateur, la lumière salvatrice, les tourterelles messagère de clémence, le cri, sans oublier le Tigre, fleuve de Bagdad et l'Euphrate... et qui, orphelin de Bagdad, résiste depuis un demi-siècle aux morsures abrasives de l'exil.

 

                                                                                         Gérard Cléry

                                                                                              2020

 

[1]  Le veilleur (Ed. du Cygne, 2019)

[2]  Le veilleur (ibidem)

[3]  Le veilleur (ibidem)

[4]  Bagdad mon amour (Ed. Le temps des cerises, 2014)

[5]  Le veilleur (ibidem)

[6]  Rebâtir les jours (Ed. Bruno Doucey 2013)

[7]  Bagdad mon amour (Ed. Le temps des cerises, 2014)

[8]  Rebâtir les jours (Bruno Doucey, 2013)

[9]  La sève et les mots (Ed. Voix d’encre, 2018)

[10]  Rebâtir les jours (Ed. Bruno Doucey, 2013)

[11]  Rebâtir les jours (Ed. Bruno Doucey, 2013)

[12]  Le veilleur (Ed. du Cygne, 2019)

[13]  Bagdad mon amour (Ed. Le temps des cerises, 2014)

[14]  Rebâtir les jours (Ed. Bruno Doucey, 2013)

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