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Contrejour amoureux
LES MORTS, LES MOTS, L’AMOUR
Préface de Jacques Ancet
2016
Jacques Ancet / Poète

LES MORTS, LES MOTS, L’AMOUR

 

     Amour et poésie depuis des millénaires marchent du même pas. Celui ou celle qui chante son amour s'enchante. L'amour s'augmente d'être dit. Et ce dire est porté par une voix qui, tour à tour, est celle du désir ou de la souffrance, de la joie ou de la peine. Le poème amoureux est donc un monologue le plus souvent adressé à une figure indéterminée — à cet autre, à ce tu — qui est la source de son inspiration.

 

    L'originalité de ce petit livre vient de ce qu'à la voix du poète répond la voix de l'être aimé et de ce que celui-ci est aussi un poète. Alors ces deux voix s'appellent, se croisent, s'opposent, se mêlent et, dans leur dialogue, finissent au bout de leur parcours par se rejoindre tout en ne se confondant pas, comme le souligne l'usage des caractères romains pour l'une, italiques pour l'autre et les suites de poèmes écrits en alternance par chacune d'entre elles:

 

                             Le temps grelottait

                            au coin du quai

                            Février était là

                            La fatigue du cœur

                            toi et moi

                            face à nous-mêmes

 

                            J'ai éteint la pluie

                            tu étais libre   

                            haletant

                            redoutant la fin d'une époque

 

    Avant cette rencontre, il y a tout ce qui sépare ces deux voix. L'une plus directe, plus âpre, plus inquiète est traversée de violence et d'exil. "Il y a beaucoup de morts dans ma chambre — dit-elle — beaucoup de mots dans le poème". Car les mots, pour elle, ne sont pas loin des morts. Ils en sont, au sens propre, l'écho. Dans le poème, c'est la guerre qui parle, la destruction — et la solitude de l'exil :

 

                              As-tu vu l'exilé

                              derrière la fenêtre

                            et la fenêtre dans le vide ?

 

    A cette angoisse, répond la légèreté grave et rieuse de l'autre voix. Plus douce, plus imagée, elle oppose à la violence l'amour et la tendresse : "Garde bien le souvenir de ma tendresse / versée un soir / alors que tu pleurais". Le poème, pour elle, est d'abord ferveur et bonheur de vivre. Le poème, c'est-à-dire le rêve de l'amour :

 

                              J'ai rêvé de cet instant

                              où nos ombres se touchaient

                              Des avions de papier

                              s'entrechoquaient dans la chambre.

 

    D'où le contre-jour du titre qui dit l'opposition de la première partie du livre. Contraste que résume dans sa forte simplicité la première voix : "J'ai le même sang que toi / le même nombre de doigts / mais pas le même itinéraire".

       Or, c'est à cette disjonction que tente de répondre l'autre voix, dans la deuxième partie, surtout :

 

                                Je t'emmènerai sur mes ailes

                                Amour

                                Ne pleure plus

                                Je serai ton éternel rivage

 

       Il ne faut pourtant pas croire que ce double mouvement — séparation, rapprochement — évoqué par le titre et la structure du livre introduise une opposition aussi simple entre les deux voix. Chacune se colore de la tonalité de l'autre. La première s'adoucit — "Salam à tes yeux / ma bien aimée / abri de mes jours" —, quand la deuxième se fait plus sombre: "Jouer avec son ombre / tout comme écrire sur l'eau / conduisent au désespoir // Alors le rire des veuves / glace nos cœurs". Chacune devient l'autre sans cesser d'être elle-même.

       Tel est, entre Isabelle Lagny et Salah Al Hamdani le prix de ce dialogue en poèmes qui nous conduit, à travers douleur et douceur, des morts à l'amour par les mots du poème. Lequel, nous dit superbement Salah est "la cendre de l'instant" — les restes d'un feu qui ne veut pas s'éteindre.

 

                                                        Par Jacques ANCET

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