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Préface de Jean-Pierre Siméon 

pour Bagdad mon amour 

Editions Le temps des cerises,

Paris, 2014

Jean-Pierre Siméon, poète

http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Pierre_Sim%C3%A9on

 

        Disons-le sans détour : essentiels pour notre temps sont les poèmes de Salah Al Hamdani ici assemblés, parce qu’ils sont de ceux qui rendent à la poésie une de ses fonctions primordiales, longtemps oubliée chez nous, voire trahie et moquée par les esthètes aux petits pieds, celle de témoigner humainement du poids de l’histoire sur la poitrine du vivant. Il y a cette façon intelligente et froide de rendre compte des événements qui font la vie des peuples, celle de ces « experts du fait » que notre époque tient pour seuls légitimes : chiffres, statistiques, commentaires autorisés, informations objectives et vérifiées, tels sont ses arguments. Elle réduit la réalité à des constructions intellectuelles et des mécanismes abstraits et manque donc cette vérité première : la tragédie de l’histoire traverse les peuples comme un poignard perce les chairs.

 

Dès l’aube des temps les hommes ont inventé la poésie comme une objection au discours qui totalise et simplifie. Elle seule dit la chair déchirée, le sang répandu sur les pierres, le froid dans l’âme et le soleil éteint. Elle dit ce qu’il en est de la « vie immédiate », de l’homme au coude à coude avec sa douleur, le désespéré sentiment de vivre dans la mort même. La poésie de Salah Al Hamdani est grande d’être fille de cette tradition-là. Elle n’évoque pas ni ne raconte seulement le « martyr de l’Irak », elle fait plus, elle donne nom et présence à ce qui s’absente dans tout discours, l’innocence perdue, la pulsation de la souffrance intérieure, l’effroi dans la perte, la violence de ce qui sépare un être de lui-même.

 

On peut résumer le parcours de Al Hamdani en récit d’une vie tourmentée avec enfance pauvre au bord du fleuve, guerre, torture, prison, bourreau, exil et retour... Ce sera encore simplifier, se rassurer peut-être dans des stéréotypes, finalement perdre l’essentiel, ce qui fait le sens de sa vie et de sa poésie, cela qui ne se réduit pas aux circonstances quand bien même elles en révèlent la valeur, un combat forcené, douloureux certes mais sans complaisance à sa douleur, un combat contre tout ce qui dément l’humain, un combat pour la fraternité au nom de l’homme humilié, un combat pour l’amour au nom de Bagdad ravagée. Veux-je être plus clair ? Je dirais que ce combat militant vaut d’autant plus en raison du poème qui le soutient, parce que le poème seul en dit la cause profonde qui n’est pas donc d’abord idéologique, ou anecdotique, mais intensément humaine : l’enfance perdue, la terre perdue, la mère perdue, le fleuve perdu, bref cette séparation violente, que nous vivons tous à chaque instant, enfants ou non de Bagdad, séparation de ce qui fonda un jour notre rapport amoureux à la vie. En cela la poésie de Salah Al Hamdani nous bouleversera tous, en cela Bagdad est une métaphore comme pour Darwich la Palestine l’était. Comme le chant du Fakhti, mystérieux oiseau de la mélancolie, tout poème en appelle à l’origine perdue, ce lieu où inexplicablement nous coïncidons avec la chaleur des jours et la paix des arbres. Alors dit notre ami Salah, dans le poème, face au désastre, nous tenons « l’horizon par la main ».  

                                                              Jean-Pierre Siméon, Paris, 2014

 

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