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Salah qui es-tu ?

Par Isabelle Lagny, 2003

SALAH AL HAMDANI est né à Bagdad. La date de sa naissance est introuvable dans les registres de l’état de l’époque, mais sa mère précisera avec certitude que c’était en 1951. Parents paysans venus du Sud de l’Irak à Bagdad et devenus ouvriers. Famille nombreuse : onze au total.

 

Une enfance difficile et dure comme celle de tous les gamins nés dans les quartiers pauvres de Bagdad. Travailleur à sept ans chez un coiffeur, il portait le dejdaché (djellaba) et les sandales, fréquentait l’école du soir pour apprendre et ne rien comprendre. A sept ou huit ans, il fut aussi aide chez un fabricant de matelas, puis chez un garagiste. Vers l’âge de dix ans il se trouva apprenti à fabriquer des moules de sculptures dans une fonderie d’art. Puis il travailla chez un menuisier et devint vers l’âge de quatorze ans, serveur dans un café. Il avait aussi été entre-temps porteur d’eau et vendeur ambulant de yaourts et de bonbons dans les rues de Bagdad.

 

C’est ainsi, en changeant d’apprentissage et de métier qu’il arriva à 17 ans à l’armée et passa quatre ans aussi durs que les années d’enfance. Engagé politiquement contre le parti au pouvoir, il refusa de faire la guerre contre le peuple kurde. Puis il fut prisonnier et chassé de l’armée à cause de ses choix politiques. Après cela on lui interdit de sortir de Bagdad ou de partir à l’étranger. Tourmenté par les milices du parti Baas, Salah, l’esprit bohème, traînait d’un quartier à l’autre, d’un café à l’autre, de ruelles en ruelles à la recherche d’un travail même précaire.

 

Il “entra en poésie” en prison (!) au camp militaire d’Al Rachid à Bagdad. Il y avait là des prisonniers politiques de gauche érudits et il lu sur les murs de la prison les noms et les phrases de prisonniers anonymes passés un jour par-là. Son premier poème sera déchiré sur place par un ami compagnon de misère et peut-être sera-t-il le sauveur à ce moment précis, car il lui dira :“Tu veux risquer ta vie ? Il ne faut pas écrire ce genre de choses !”.

 

Salah découvrit vraiment la littérature sur les bancs d’un café de Bagdad envahi de fumée et fréquenté par des poètes, des artistes de toutes sortes qui lui firent connaître Rimbaud, Baudelaire, Al Marout, Al Sayab, Kafka, Platon, Marx, Sartre et surtout Camus...

 

Pour des raisons de sécurité et afin de protéger sa famille, il quitta ses parents pour s’installer dans une petite chambre insalubre dans un quartier modeste et très ancien de Bagdad. Il partagea sa chambre un certain temps avec un poète inconnu, peut-être mort aujourd’hui. Il continua à écrire des poèmes qui furent systématiquement rejetés par les hommes de lettres et les poètes officiels des concours de l’époque, mais acceptés avec enthousiasme par son entourage.

 

Il avait des difficultés à trouver du travail et à manger tous les jours. Harcelé par la milice fasciste du parti Baas de Saddam Hussein et les brutalités policières quotidiennes, la vie de Salah devient très difficile. Des proches qui redoutaient son assassinat ou un nouvel emprisonnement définitif lui conseillèrent de quitter le pays.

 

Il finit par quitter l’Irak avec l’aide de quelques jeunes de familles aisées pour lesquels il écrivait des lettres d’amour, avec l’aide aussi d’intellectuels et de poètes méconnus qui abondaient dans les cafés de Bagdad. Il laissa sa famille et toute son écriture à l’autre bout des rails.

Il avait eu du mal à obtenir un passeport à cause de sa condamnation politique et à cause d’un manque d’argent.

 

Salah choisit la France pour des raisons culturelles. Il arriva à Paris en janvier 1975 après un voyage clandestin en train passant par la Syrie puis la Turquie. Perdu dans Paris, sans connaître la langue, il réussit à trouver son contact (un militant tunisien) rue Gay Lussac près du jardin du Luxembourg au bout de deux jours d’errance (voir la nouvelle le 44).

 

…/…

Il fut hébergé ensuite pendant des semaines chez un pilote de ligne ami des tunisiens, qui l’aida beaucoup matériellement. C’est là qu’il fit connaissance avec sa première femme, Danielle Rolland, institutrice, avec laquelle il ne conversait que dans un anglais restreint et surtout avec le langage des gestes. La mère de celle-ci se chargea d’apprendre le français à Salah avec des livres d’enfants. Il s’inscrit ensuite à l’université de Vincennes sans le baccalauréat. Avant son départ pour l’étranger il avait failli se faire engager dans la troupe nationale de danse traditionnelle irakienne. Mais son dossier de prisonnier politique l’en avait empêché. C’est le théâtre qui l’attirait et il choisit des études de théâtre en cours du soir à Vincennes. Pendant plusieurs années il pratiquera les ateliers les plus divers : expression corporelle, gestuelle, jeu d’acteur, voix... Il se fera remarquer par l’assistante d’un metteur en scène argentin connu (Victor Garcia) qui prospectait à la recherche d’acteurs arabes à l’université.

 

Son premier rôle au théâtre sera un rôle principal dans l’un des plus grands théâtres français, le théâtre national de Chaillot, en 1979.

 

Il y interpréta le rôle d’Enkidou, l’homme de la terre, l’homme sauvage, dans une adaptation théâtrale de l’un des textes les plus anciens de l’humanité : L’épopée de Gilgamesh (Mésopotamie). D’autres rôles suivirent ensuite au théâtre, au cinéma et à la télévision.

 

En 1979 il publia aussi à compte d’auteur aux Editions du Cherche midi, son premier recueil de poèmes traduit en français : Gorges Bédouines. Il est fondateur de deux revues de poésie : Craies (1980) et Havres en (1982). Il est actuellement auteur de vingt ouvrages essentiellement de poésie, publiés à Paris en français et à Damas en Syrie pour l’arabe. Ses écrits sont interdits en Irak et au Koweït, mais certains de ses poèmes ont été diffusés vers l’Irak depuis une radio clandestine en 1996.

 

En France pendant ses études, il fit de nombreux métiers pour gagner sa vie : libraire, employé libre-service, etc. Puis il devint intermittent du spectacle jusqu’en 1989. Après avoir monté une troupe de théâtre en Espagne (Huella) et avoir reçu le 1er prix de la mise en scène à Tarragone (près de Barcelone), il revint vivre en France car il n’y avait pas de projet professionnel durable pour lui et sa famille en Espagne.

 

Après une tournée européenne avec la troupe palestinienne de Jérusalem El Hakawati dans un rôle principal, il suspendit sa carrière de théâtre aux revenus insuffisants pour permettre à sa seconde femme Elisabeth Brunet, d’apprendre le métier d’infirmière. Malgré le passé d’artiste choyé et une maîtrise de théâtre il accepta d’être brancardier à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre afin d’assurer un revenu rapide à sa famille (naissance de son 2e enfant en 1987). Salah est aujourd’hui père de quatre enfants, il travaille toujours à l’assistance publique et fait désormais fonction de bibliothécaire du personnel dans ce même hôpital.

 

Son engagement politique en faveur d’un Irak sans embargo, sans dictature et démocratique, mais aussi ses activités politique et syndicale en France, l’occupèrent toujours plus et le conduisirent à une longue pause dans sa carrière d’acteur et de metteur en scène.

 

La rencontre avec Isabelle Lagny en 1996 qui deviendra ensuite sa troisième femme, marque un tournant dans son écriture. Elle l’encourage et l’aide à écrire directement en français et participe à la traduction de sa poésie et de nouvelles écrites en arabe.

 

La vie jusqu’à alors tourmentée de Salah gagne en perspective de bonheur et apparaissent dans sa poésie, les thèmes de l’amour et de la sagesse. Les conflits existentiels exprimés jusqu’alors dans une parole révoltée, animée de soubresauts se déploient maintenant dans une langue enrichie d’un propos philosophique, toujours servie par la métaphore, mais cette fois tournée vers l’universel. (Ce qu’il reste de lumière, Au large de Douleur, Bagdad, mon amour).

Isabelle Lagny

Janvier 2003

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