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Salah Al Hamdani

Cet engagement indéfectible pour les valeurs humanistes

 

Par Isabelle Lagny 2006

 

 

       Les poèmes présentés ici sont ceux d’un écrivain irakien, un poète de l’exil, un poète pacifiste. Ecrits avant et pendant l’invasion américaine de l’Irak de 2003, ils sont un chant pour le peuple irakien en détresse, un espoir pour tous les hommes victimes dans les guerre aussi bien les civils que les soldats. Après 30 ans d’exil forcé par la dictature sanglante de Saddam Hussein, S. Al H., condamne pourtant l’intervention anglo-américaine en Irak qui se prépare, pourvoyeuse de victimes innocentes. Il fait une analyse politique de la situation dès la fin 2002 soulignant les appétits américains mais dénonce aussi les compromissions de certains en France avec le régime dictatorial de Bagdad et les vraies raisons des réserves du gouvernement français. Le 29 mars 2003, lors d’une manifestation pacifiste contre la guerre, il est agressé avec sa compagne par Chakir al Saadi, président de l’association des irakiens de France, dont les sympathisants défilent effectivement avec de grands portraits souriants de Saddam Hussein. Il subit alors un lynchage violent par une vingtaine de jeunes arabes irakiens, palestiniens et maghrébins mobiles dans cette manifestation, et n’en ressort vivant que grâce à l’intervention de manifestants maghrébins pacifistes venus manifester qui le protègent ainsi que sa compagne et repoussent les assaillants. Lui, le défenseur des droits de l’homme, en exil en France depuis 1975, tombe sous les coups de poing et les coups de pieds de pro-Saddam sur un trottoir à Paris en 2003 ! Dès le lendemain, deux associations officiellement anti-impérialistes mais essentiellement pro-Saddam (Association des Irakiens de France et l’association Pas en notre nom), sont exclues des manifestations pacifistes à venir par le comité d’organisation des manifestation anti-guerre. S. Al H. légèrement blessé, dépose avec sa compagne une plainte contre ses assaillants. Quelques jours plus tard, Saddam Hussein est capturé. La police et le quai d’Orsay, se désintéressent alors de l’affaire qui sera classée sans suite.

Certains partis politiques de gauche, des intellectuels, des journalistes et des artistes manifesteront alors leur solidarité et leur soutien.

Cet engagement indéfectible pour les valeurs humanistes, S. Al H., le porte depuis le début, depuis son enfance.

 

Salah Al Hamdani est né à Bagdad. La date de sa naissance est incertaine. 1951 disent les registres de l’état. Sa mère, toujours en vie, penche maintenant pour 1953... Ses grands-parents sont des paysans du Sud de l’Irak. Son père émigra à Bagdad et devint un ouvrier orfèvre souvent au chômage. Il mourut de maladie dans les années quatre-vingt dix. Sa mère analphabète mais très active a été l’élément déterminant des progrès de la famille. Il grandit au sein d’une famille pauvre de neuf enfants qui firent tout de même des études, Salah étant le seul à ne pas pouvoir profiter de l’école.

Il a ainsi traversé l’enfance difficile de la plupart des gamins nés dans les quartiers pauvres de Bagdad. Pour ramener chaque jour dix centimes à la maison, il a du travailler dès l’âge de sept ans chez un coiffeur. A huit ans, il devint aide chez un fabricant de matelas, puis chez un garagiste. Vers l’âge de dix ans il se trouva apprenti à fabriquer des moules dans une fonderie d’art. Il portait alors le dejdaché (djellaba) et les sandales, signes de sa misère, et commença à fréquenter les cours du soir destinés avant tout aux adultes marginaux. Puis il travailla chez un menuisier ébéniste qui fabriquait des portes et devint vers l’âge de quatorze ans, serveur dans un café. Les études ponctuées par les raclés données tantôt par l’instituteur, tantôt par les autres élèves, étaient déjà finies. Entre-temps on l’avait vu porteur d’eau et vendeur ambulant de yaourts et de bonbons dans les rues de Bagdad. Enfant espiègle et bagarreur, jamais indifférent à la peine de l’autre, il réglait déjà dans la rue les conflits qui animaient les bandes d’enfants miséreux. Débrouillard au sein de la famille, il attirait peu la compassion des autres, sauf celle de sa mère à qui il offrait de petits cadeaux en cachette et qui barrait la route à un père répressif. Il tira sa révérence de toute cette adolescence agitée en se faisant engager pour un soir comme figurant par le théâtre national de Bagdad.

 

Sans bagage scolaire et de famille pauvre, il lui fallait désormais choisir un métier.  A 17 ans, l’armée fut son réceptacle naturel.

Sélectionné sur des centaines de recrues, il intégra les commandos parachutistes sur ses aptitudes physiques et son endurance morale et devint maître d’arme blanche. Son goût pour l’imaginaire et la théâtralité le précipitèrent à un court séjour en prison puis il devint garde du corps et ami du commandant de son camp. Pendant son séjour de 4 ans dans l’armée, à Kirkouk dans le nord de l’Irak, il libéra en cachette de nombreux prisonniers kurdes que l’armée irakienne persécutait et ne fut jamais découvert pour cela. Toujours animé d’une profonde intuition de justice et de fraternité, il se rebella contre l’arrogance et l’idéologie du parti nationaliste Baas qui dominait alors dans l’armée où se développait sa propagande à l’exclusion de tout autre. Il rejoignit alors un groupuscule opposant, rendu clandestin par la dictature bassiste déjà en place, animé par les idées marxistes. C’est à l’occasion de la diffusion de tracts de complots contre le pouvoir en place qu’il fut arrêté pour de bon et passa 8 mois en prison. A cette époque Ahmed Hassel Backer était le président de l’Irak et Saddam Hussein, un jeune assassin mis en place par la CIA, en était le vice président. Il se peut que l’alliance passée temporairement entre le parti communiste irakien et le régime bassiste en place à l’occasion de réformes favorables aux pauvres, lui ait évité la peine de mort.

 

Le début de sa détention fut marqué par de longs jours de tortures et un simulacre d’exécution. Rien dans ses écrits ultérieurs ne ramène à ce traumatisme, comme si la douleur de la réminiscence et la pudeur de l’avoir partagé avec tant d’autres irakiens restés anonymes, l’empêchait d’en parler. Restent des traces sur le corps et les mots qui perlent de temps à autre malgré eux, à destination de ses proches.

Mais après un procès expéditif, le reste de sa détention constitua une seconde naissance. Il se trouva à cotoyer des généraux prisonniers politiques de toutes tendances, opposant au parti Baas. On lui appris la politique, le jeu d’échec et surtout à lire et à écrire. Un certain Yacoub, camarade d’armée emprisonné également et qui écrivaient des poèmes, était son guide. Avec lui, il découvrit les livres et lu sur les murs de la prison les noms et les phrases de prisonniers anonymes qui avaient occupé sa cellule. Ainsi naquit son premier poème que Yacoub déchira en disant : Tu es fou, il ne faut pas écrire ce genre de choses ! Tu veux risquer ta vie ?

Salah compris à travers cet incident avec Yacoub la puissance de ses mots et lui vint l’idée que la poésie pourrait le sauver.

Finalement radié de l’armée, il fut libéré de prison, il se trouva à Bagdad dans le plus grand désoeuvrement. Pas de travail pour ce paria marqué à vie sur son livret militaire. La famille constamment menacée lui avait demandé de prendre ses distances. Il s’installa dans le quartier Haider Khana du vieux Bagdad, dans un immeuble occupé par des pauvres et des prostituées. D’humeur bohème, il traînait d’un quartier à l’autre, d’un café à l’autre, de ruelles en ruelles à la recherche d’un travail même précaire. Il se laissait pousser les cheveux comme les jeunes occidentaux à la même époque. Il se déplaçait désormais avec un chat noir auquel il s’était attaché et qu’il avait surnommé Nixon. Régulièrement impliqué dans des rixes avec des miliciens du parti Baas qui le provoquaient, il vivait sur le qui-vive, toujours prêt à se défendre.

 

Il finit par découvrir la littérature sur les bancs du café Oum Khoulsoum de Bagdad, envahi de fumée et fréquenté par des poètes et de jeunes artistes irakiens de toutes sortes qui lui firent connaître Rimbaud, Baudelaire, Al Marout, Al Sayab, Kafka, Platon, Marx, Sartre et surtout Camus…

Il partagea sa chambre un certain temps avec un poète qui est peut-être mort aujourd’hui. Il écrivait alors des poèmes qu’il osait présenter lors des concours traditionnels aux poètes officiels. Ceux-ci les rejetaient systématiquement. Pourtant dans son entourage, on s’enthousiasmait.

Pour gagner sa vie, il écrivit alors des lettres d’amour pour des jeunes de familles aisées. Sa joie de vivre et les traditions familiales lui avaient donné un goût particulier et une aisance pour la danse traditionnelle irakienne. Il devait être engagé par la troupe nationale, mais son passé de prisonnier politique l’en empêcha. Tout ce qu’il fit n’était pas suffisant pour vivre et il ne cessait d’être harcelé par la milice fasciste du parti Baas de Saddam Hussein et les brutalités policières quotidiennes. Alors qu’il réussait à échapper à une tentative d’assassinat, on lui conseilla de s’enfuir à l’étranger. Mais sans argent il lui était difficile d’obtenir un passeport en raison de sa condamnation politique et sa radiation de l’armée.

 

Il finit par quitter l’Irak avec l’aide de quelques jeunes de familles aisées, avec l’aide aussi d’intellectuels et de poètes méconnus qui abondaient dans les cafés de Bagdad.

C’est ainsi qu’un jour il laissa sa famille, ses amis, son chat et tous ses poèmes à l’autre bout des rails.

 

Salah choisit la France parce qu’il était tout simplement fasciné par l’écrivain Albert Camus et son roman l’Etranger, dit-il plus tard ! Après un voyage clandestin en train le faisant traverser la Syrie puis la Turquie, il arriva à Paris en janvier 1975 à la gare de l’Est. Perdu dans Paris, sans connaître un seul mot de français, il erra deux jours avec son ballot avant de trouver son contact, un communiste tunisien qui logeait rue Gay Lussac. Cet épisode insolite a donné lieu à une nouvelle, «Le 44 ».

Aussitôt arrivé, aussitôt séquestré ! Il subit un examen qui dura trois longs jours avant d’être reconnu comme ami et libéré par ses geôliers tunisiens. Les mêmes l’introduisirent par la suite à la faculté de Vincennes où il put s’inscrire sans diplôme dans la section Théâtre !

Il retourna néanmoins aux petits boulots pour gagner sa vie tandis qu’il suivait les cours du soir de théâtre à l’université. Pendant plusieurs années il pratiqua les ateliers les plus divers expression corporelle, gestuelle, jeu d’acteur, voix. C’est en 1979 qu’il se fit remarquer par l’assistante d’un metteur en scène argentin Victor Garcia, pour le rôle d’Enkidou dans Gilgamesh et fut propulsé au théâtre de Chaillot.

D’autres rôles suivirent ensuite au théâtre, au cinéma et à la télévision. Son engagement politique a imprégné aussi sa carrière d’artiste avec sa participation à une tournée européenne avec la troupe palestinienne de Jérusalem El Hakawati dans le rôle principal de la pièce Kofor Shama.

Ce qui ne l’empêche pas aujourd’hui de dénoncer les actions kamikases palestiniennes longtemps soutenues financièrement par Saddam Hussein.

Son militantisme en faveur d’un Irak sans embargo, sans dictature et démocratique, ainsi que ses activités politique et syndicale pour la France, l’occupèrent toujours plus et le conduisirent à une longue pause dans sa carrière d’acteur et de metteur en scène depuis la fin des années quatre-vingt. Il continua néanmoins à écrire de la poésie, puis des nouvelles.

 

En tant que poète écrivain,  il publia à compte d’auteur son premier recueil de poèmes traduit en français, Gorges Bédouines, aux Editions du Cherche midi en 1979. Il fut cofondateur de plusieurs associations socio-culturelles et de deux revues de poésie : Craies (1980) et Havres en (1982), cofondateur de l’édition de poésie l’Escalier Blanc.

 

Il est actuellement auteur de plus de vingt ouvrages de poésie et d’un livre de nouvelles (Le cimetière des oiseaux) publiées en français et en arabe. Après la rencontre de Salah avec sa troisième compagne, l’amour devient un nouveau thème dans sa poésie et le français, un  mode d’expression plus fréquent dans la poésie comme dans la prose (« Ce qu’il reste de lumière », « Au large de douleur », « La traversée »). Les conflits existentiels exprimés jusqu’alors dans une parole révoltée, ramifiée, animée de soubresauts (« L’arrogance des jours »), se déploient maintenant dans une langue plus concise, plus sereine toujours servie par la métaphore et tournée vers l’universel. (« Bagdad, mon amour »,  Poèmes de Bagdad »).

 

Dans les années quatre-vingt, il a été actif comme animateur de la Ligue des artistes, écrivains et journalistes démocrates irakiens en exil en France. Il a pris également plusieurs responsabilités dans une association de démocrates en exil en France « Le forum irakien » jusqu’en 2004.

Souhaitant toujours à terme le retrait de l’armée d’occupation en Irak, il dénonce néanmoins vigoureusement aujourd’hui le terrorisme en Irak alimenté par le parti Baas, les islamistes étrangers et les pays voisins de l’Irak. Il insiste aussi sur la responsabilité de l’Europe dans le désastre actuel à cause de sa complaisance pour le régime de Saddam et sa réserve hypocrite et intéressée dans le non engagement aux côtés de l’intervention américaine en Irak. Fidèle à son engagement anti-impérialiste contre l’état américain et son soutien de longue date au peuple palestinien, il dénonce cependant l’instrumentalisation actuelle des partis de gauche en Europe et dans le monde dans un élan d’anti-américanisme irraisonné au plus grand profit des bassistes irakiens et syriens et plus généralement des nationalistes arabes et des islamistes, qu’ils soient ou non palestiniens, qui font le lit de la violence et de la régression.

 

Par Isabelle Lagny/ Janvier 2006

 

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