Le destin ressemble à ces nuits entières
oubliées dans l’encrier... Salah Al Hamdani
كلما تمرستَ بحلِ عقدُ الحياة
تساقطَ من حولكَ من يتصنعُها... صلاح الحمداني
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Marie-Josée Christien, Poète
L’arrogance des jours,
Editions Al Manar, 2020
Salah Al Hamdani
L’arrogance des jours (dessins de Ghassan Faidi, Al Manar, 2020)
Sous ce titre sobre et énigmatique, on découvre un livre épais (200 pages) aux poèmes denses, écrits en arabe d’Irak et traduits en français par l’auteur avec la complicité d’Isabelle Lagny. Salah Al Hamdani a particulièrement pensé l’architecture de l’ensemble, composé de cinq parties précédées d’une brève « introduction ». Chaque partie se déploie, de quelques vers brefs à plusieurs pages, comme une colère qui enfle. Tel un rituel incantatoire qui chasserait les maléfices et inverserait le cycle tragique, L’arrogance des jours se donne comme un livre de conjurations.
Le cri du poète, « bouche bâillonnée par la tourmente », martèle les mots de la mort : sang, cercueil, linceul, tombe, cimetière. S’appuyant sur l’effet répétitif des incipit, ses vers, sonores, âpres, lancinants, sans emphase pourtant, expriment avec une grande simplicité des visions cauchemardesques : « parfois tu veux te réveiller / mais ton âme n’y est plus ». La sobriété du ton contraste avec le tragique. On peut sans peine imaginer certains poèmes en récitatifs pour la scène. En écho, les dessins de Ghassan Faidi se dressent, composés à la manière des panneaux d’un retable, d’où s’élève la violence figée « de l’écume de sang / des millions de noms ».
Ces poèmes engendrent un double mouvement : tout en honorant la mémoire des poètes et des artistes victimes des persécutions et de la douleur de l’exil, ils dénoncent l’indifférence de ceux « nés sans langue » qui ne donnent à entendre que leur vacuité et leur arrogance : « des poètes s’amassent sur des étagères / et Lorca gît dans son sang ». En lecteur de Camus, Salah Al Hamdani sait qu’il y a pire que l’oppression et la barbarie, pire que la douleur lancinante des violences infligées par les dictatures : la résignation, la lâcheté. L’abdication de l’humanité présente dans chaque être interdit toute renaissance par les mots : « beaucoup sont morts / comme les autres / sans avoir été tués ». Quand leur passivité et leur silence se font complices de l’ignoble, ces intellectuels ne peuvent se prétendre dignes d’être « des hommes » et encore moins poètes. Car « l’arrogance ne fut jamais chevaleresque ». Dans le souffle ample de son amour pour l’Irak son pays, Salah Hamdani démonte les mécanismes universels de toutes les barbaries, même les plus invisibles.
Marie-Josée Christien, chronique "Nuits d'encre", n°26 revue Spered Gouez / "S’émerveiller", novembre, Quimper, 2020.